jeudi 6 mai 2021

Navarrenx/Camp de Gurs/Hopital St Blaise/Retour Navarrenx

Le Camp de Gurs... Malheureusement une triste "verrue" sur les terres béarnaises. Bon il y en a d'autres ailleurs. Ce camp fut crée à l'origine pour "accueillir", enfin plutôt détenir, les rescapés des brigades internationales, les réfugiés politiques, ou simplement pourchassés par la répression franquiste après la guerre d'Espagne. En l’occurrence, il fit son office, mais pas seulement, il servit aussi de mouroir à nombre de républicains espagnols, hébergés ici dans des conditions d’hygiène lamentables, soumis à la malnutrition, et aux maladies. Pour ceux qui n'en seraient pas persuadés, il suffit de lire les noms inscrits sur les tombes du petit cimetière du camp. la stèle de la petite "Béatriz Para-Otero" m'a particulièrement émut, elle n'a pas survécu un an, son calvaire au moins fut court, maigre consolation. Il y a dut en avoir bien d'autres. Ensuite le camp servi de "refuge" évidemment contraint à nombre de juifs de l'Europe de l'Est pourchassé et fuyant le régime nazi. Ils y vivaient dans les mêmes conditions que les précédents occupants. Plus tard en 1942 l'histoire c'est quelque peu assombris, comme si cela pouvait l’être. Suite à la visite du camp par  le capitaine SS Theodor Dannecker, proche d'Adolf Eichmann et "conseiller aux affaires juives"( si, si c'est le nom officiel), celui ci pour que la fête soit complète, ordonna le transfert de tous les juifs du camp vers Drancy. De là, 6 convois furent organisés vers Auschwitz, évidemment, peu en revinrent. Avant son démantèlement en 1946, le camp accueilli des collabos français ( petite parenthèse, collabos, collabos!!!. Je préfère les collabos de la dernière heure, plutôt que les résistants de la dernière. Je ne sais pas ce que j'aurais fait en cette période noire contrairement à certains héros du "quand on risque plus rien", collabos surement pas, résistant, il fallait sérieusement être gonflé, peut-être attentiste, comme la grande majorité des français) et aussi quelques prisonniers allemands. Il accueilli aussi à cette période quelques réfugiés espagnols (l'ambiance devait être sympa à la récrée) que le gouvernement français et les alliés soupçonnaient d'aller semer la pagaille dans l'Espagne franquiste, nouvelle amie des vainqueurs. Grand nombre d'entre eux, une fois libérés, et étant, plutôt indésirables, voir complètement menacés, chez eux, ont peuplé la ville d'Oloron St Marie et des environs, formant une communauté qui c'est parfaitement intégrée à celle du piémont pyrénéen.

Ici un très intéressant texte envoyé par un ami sur une categorie de femmes internées à Gurs.

 

Internement de Gurs
Les femmes "indésirables" de l'été 40 : les 9 771 "Gursiennes"

Le 21 mai 1940, est interné à Gurs un groupe en tous points différents de tous ceux que le camp avait connus jusqu’ici : 464 femmes allemandes. Jusqu’alors, aucune femme n’avait jamais été enfermée au camp.

Jusqu’alors, les seuls Allemands qui aient connu les îlots appartenaient au groupe des combattants des Brigades internationales. Mais aucun civil allemand n’avait encore été interné. Il s’agit donc bien d’un tournant dans l’histoire du camp. Un nouveau palier institutionnel est désormais franchi. Gurs, à partir du 21 mai 1940, ne sera plus jamais considéré, du moins officiellement, comme un lieu d’ "accueil" ou d’ "hébergement", mais bien comme un lieu répressif d’internement. Bien sûr, cette fonction existait déjà dans les faits, depuis la création du camp. Bien sûr, les Républicains espagnols de 1939 étaient davantage traités comme des parias que comme des réfugiés. Mais on pouvait encore évoquer, en leur faveur, de lointaines considérations humanitaires. Tout cela disparait complètement, désormais. Le camp de Gurs bascule dans un autre univers, celui de l’exclusion pure et simple. Comme le montre Denis Peschanski, (La France des camps, Gallimard, Paris, 2002), on passe désormais de l’exception à l’exclusion.

Les "Gursiennes" de l'été 1940 sont mal connues car l'autodafé du 24 juin 1940, qui a détruit les archives du camp, a supprimé du même coup toute possibilité d'étude détaillée de cette population.
Aucune liste, même partielle, n’est parvenue jusqu’à nous.
Quelques témoignages (Lisa Fittko, Lilo Petersen, Laure Schindler, Hanna Schramm) fournissent cependant une mine d’informations sur leur internement¹.

Au total, 9 771 femmes et enfants.

Après les 464 femmes, internées le 21 mai 1940, arrivent au camp de nouveaux convois, composés exclusivement de femmes : un groupe de 1 900 "Parisiennes", le 23 mai, puis, presque chaque jour jusqu’ à la fin du mois, d’autres groupes, composés de milliers et de milliers de "ressortissantes allemandes". Le 1er juin, le service des effectifs du camp en comptabilise 7 112, toutes désignées comme allemandes. Elles ont été conduites en train, de Paris à Oloron, puis en camion, d’Oloron à Gurs.

Dans les tout derniers jours de mai et pendant le mois de juin, de nouveaux convois de femmes arrivent encore. Ils proviennent toujours de la région parisienne. Ils ne se composent plus d’Allemandes, mais désormais de Mosellanes, d’Autrichiennes, de Tchécoslovaques, de Polonaises, de Yougoslaves, de Roumaines, de Bulgares, etc... Au total, 2 659 nouvelles venues.

Ainsi, en un mois et demi, entre le 21 mai et le 30 juin, c’est une population de 9 771 personnes, exclusivement des femmes et des enfants, qui sont internés à Gurs. Une statistique du bureau des effectifs, établie le 23 juin, le jour même de la signature de l’armistice, à une époque où certaines internées ont déjà obtenu leur sortie du camp, en comptabilise 9 283. C’est donc presque 10 000 femmes et enfants qui se retrouvent enfermés à Gurs, à l’occasion de la débâcle de mai-juin 1940. Le camp retrouve alors un taux d’occupation proche de celui des premiers mois de son histoire.

Un groupe homogène ?

Les "Gursiennes" de l’été 40 sont souvent présentées comme un ensemble d’une grande homogénéité. Trois arguments viennent étayer ce jugement superficiel : d’une part, il s’agit de femmes, dans un camp jusque-là exclusivement réservé aux hommes ; d’autre part, elles proviennent toutes de la région parisienne ; enfin elles sont toutes de langue allemande.

Cette apparence d’homogénéité cache, en fait, des différences profondes.
Ces femmes (et les enfants qui les accompagnent) n’ont rien de parisien, à de rares exceptions près. Elles ont seulement été regroupées dans des stades parisiens, à partir du 15 mai 1940. Mais les unes étaient françaises ("les Mosellanes"), les autres, allemandes ou assimilées à des Allemandes (Autrichiennes, Dantzigoises, Sudètes, Sarroises, etc...) ; d’autres provenaient d’Europe centrale et orientale (Pologne, Tchécoslovaquie, Roumanie, Bulgarie, etc...). Rares sont celles qui résidaient à Paris au printemps 1940.

De même, si toutes étaient censées parler l’allemand, il est certain que les ressortissantes allemandes n’en représentaient qu’une grosse moitié, environ.
En outre, les "Gursiennes" sont de tous âges et de toutes origines sociales, comme on le verra plus loin. La majorité d’entre elles sont juives, mais plusieurs milliers ne le sont pas. Les unes sont mariées, ont parfois des enfants, les autres non. Les unes ont fui le Reich pour échapper aux persécutions antisémites, les autres sont des émigrées à caractère économique. La plupart sont antinazies, mais pas toutes. Les unes ont pu quitter le camp assez facilement, au mois de juillet, les autres ont été obligées d’y demeurer.

Bref, une analyse, même superficielle, montre que des différences considérables les opposent et qu’il serait hasardeux de les considérer comme appartenant à un groupe homogène.


¹ Les principaux témoignages publiés par les femmes "indésirables" sont les suivants :

- Lisa Fittko. Le chemin des Pyrénées. Souvenirs 1940-1941. Maren Stell, 1987

- Suzanne Leo-Pollak. Nous étions indésirables en France. Une enquête familiale. Ed. Traces et empreintes. Coll. Rappel. Saint-Genis, 2009, 264 pages.

- Lilo Petersen. Les oubliées. Ed. Jacob-Duvernet. Clamecy, 2007, 238 pages. Postface de Denis Blanchot intitulée "La première rafle du Vel’ d’Hiv’, un orphelin de l’histoire".

- Laure Schindler-Levine. L’impossible au revoir. L’Harmattan. Mémoire du XXème siècle. Paris, 2001, 185 pages.

- Hanna Schramm. Vivre à Gurs. Un camp de concentration français. 1940-1941. François Maspero. Coll. Actes et mémoires du peuple. Paris, 1979, 379 pages. Une dizaine de témoignages brefs sont annexés au texte de l’auteur.

- Adrienne Thomas. Reisen sie ab, Mademoiselle. Fischer. Bibliothek der verbannten Bücher, Franckort, 1985.

L’étude la plus précise consacrée aux femmes "indésirables" est celle de Gabrielle Mittag, intitulée "Frauen in Gurs. Stationen des Überlebens", publié dans Gurs. Deutsche Emigrantinnen im französichen Exil, Argon Verlag, Berlin, 1990, pages 43-52.

Les femmes "indésirables" : les quatre principaux groupes

Même s’il est difficile d’opérer un classement rigoureux et exhaustif des femmes "indésirables" de l’été 1940, on peut distinguer quatre groupes principaux.

A l’origine, l’ordre donné aux femmes "d’origine allemande", le 15 mai 1940, de rejoindre le Vel’ d’Hiv’

Au moment où la "campagne de France" déverse sur les routes un flux croissant de réfugiés à destination de Paris, le général Héring, gouverneur militaire de Paris, fait placarder, sur les murs de la capitale, l’affiche suivante :

Les ressortissants allemands, sarrois, dantzikois et étrangers de nationalité indéterminée, mais d’origine allemande, résidant dans le département de la Seine, devront se conformer aux prescriptions suivantes:
1- Hommes de 17 à 55 ans, y compris les prestataires ;
2- Femmes célibataires et mariées sans enfant.
Rejoindront les centres suivants : les hommes, le centre Buffalo ¹, les femmes, le Vélodrome d’Hiver, le 15 mai 1940.
Ceux qui contreviendraient à cet ordre seront mis en état d’arrestation.
Les étrangers visés ci-dessus pourront, à leurs frais, prendre le chemin de fer ou tout autre transport public pour rejoindre le centre de rassemblement assigné.
Ils devront se munir de vivres pour deux jours et du matériel nécessaire pour leur alimentation. Y compris les vivres, ils ne devront pas avoir plus de 30 kg de bagages.12 mai 1940.

Général Héring Gouverneur militaire de Paris

Remarquer l’allusion aux Allemands apatrides ("de nationalité indéterminée"), c’est-à-dire aux juifs déchus de leur nationalité allemande. Comment réagissent les "ressortissants allemands" face à cet ordre de rassemblement ?


¹ Parmi les hommes qui seront envoyés au stade Buffalo, figurent quelques célébrités : Walter Benjamin, Karl Einstein, Lion Feuchtwanger, Walter Havenclever, Heinrich Mann, Willy Münzenberg, Ernst Weiss, etc.

Premier groupe : les "légalistes", venues spontanément.

Plusieurs milliers de femmes allemandes se rendent volontairement, au Vel’ d’Hiv’, le 15 mai. Certaines font la queue pendant plusieurs heures, avant de pouvoir être admises. Peut-on dire, pour autant, qu’elles y soient allées de leur plein gré ? Ce serait très exagéré, puisqu’elles obéissent à un ordre, accompagné d’une menace précise d’arrestation. Mais il est incontestable qu’elles l’ont fait volontairement, sans soupçonner les conséquences de leur geste.

Plusieurs raisons expliquent un tel comportement.
D’abord, le sentiment que la France, pays des droits de l’Homme, constitue un asile pour les réfugiés ; ne vient-elle pas de recenser et d’accueillir les républicains espagnols, rudement certes, mais ne vient-elle pas de les recevoir ? N’a-t-elle pas intégré sa population juive et a confié à l’un de ses membres la présidence du gouvernement ? Ne reste-elle pas une des grandes puissances démocratiques du monde ?
Alors, pourquoi ne pas lui faire confiance ?
Ensuite, la certitude que ce regroupement obéit à une mesure transitoire, nécessaire en vue d’un nouveau triage ; une fois le recensement terminé, chacun pourra retourner à la vie civile, comme auparavant.
Enfin, le profond légalisme qui anime la majorité des réfugiés ; bien sûr, l’ordre donné relève d’une mesure d’exception, mais il faut le comprendre ; il convient de s’y conformer, parce que c’est une preuve de confiance, parce que l’administration nous en saura gré et parce qu’on ne doit pas chercher à ajouter aux souffrances de la population française.
Bref, il convient d’obéir. La plupart de ces "légalistes" résidaient en France depuis plusieurs années. Elles se sentaient d’autant moins en danger que leurs titres de séjour étaient en règle et leur situation sociale connue des services de l’immigration.
Pour elles, il est clair que, une fois établi qu’elles n’ont rien à voir avec les nazis, elles seront libérées. Elsbeth Weichmann, l’une d’elles, les décrit ainsi :
Parmi nous, il y avait des femmes d’officiers et de soldats français, des femmes qui s’étaient proposées pour les organisations d’aide dans l’armée française, des femmes d’hommes politiques de Weimar connus et pourchassés, des femmes qui s’étaient fait leur propre nom à travers leur engagement politique.¹

Peut-on évaluer l’importance numérique de ce groupe ? Aucun document précis ne le permet. Il semble bien, cependant, si l’on s’appuie sur les témoignages des victimes elles-mêmes, qu’il s’agisse d’une large majorité. Surtout que les internées de Gurs sont des femmes, beaucoup moins réticentes que les hommes à se conformer aux directives françaises. Donc, au bas mot, 5 000 femmes "légalistes", peut-être 6 000, sur les 9 771 internées à Gurs.


¹Elsbeth Weichmann, Zuflucht, Jahre des Exils. Kraus Verlag, 1983.

Deuxième groupe : les raflées, arrêtées par la police française

Ce groupe est bien différent du précédent, car il n’est en aucune façon composé de volontaires.


Pour les unes, il s’agit de femmes appréhendées par la police, à leur domicile, au petit matin. N’ayant pas obtempéré à l’ordre du général Héring, elles sont arrêtées, et expédiées directement au Vel d’Hiv’. Elles avaient refusé de se rendre au Vélodrome d’Hiver, car elles ne se considéraient en aucune façon comme des "étrangères ennemies" : elles étaient Françaises de naissance et le fait d’avoir épousé des Allemands ne leur semblait pas criminel ; ou bien, elles avaient été des opposantes au régime nazi, pourchassées comme telles, exilées, et se déclaraient amies de la France.
Pour les autres, il s’agit de femmes qui, après avoir réussi à rejoindre Paris, avaient été arrêtées à la gare, à l’hôtel, dans la rue ou dans un square, à l’occasion de patrouilles de police, spécialement dirigées vers "les réfugiés du Nord". Parmi elles, beaucoup de femmes qui, devant l’invasion de la Belgique et des Pays Bas par la Wehrmacht, fuyaient depuis plusieurs semaines, erraient dans les rues ou se cachaient dans de mauvais hôtels. Elsbeth Weichmann les décrit comme "décomposées de terreur, ayant perdu toute contenance"¹.
Il convient de noter que certaines d’entre elles ne se cachaient pas et avaient été arrêtées à la préfecture, en tentant de régulariser leurs titres de séjour ; que d’autres, comme Bertha Gradenwitz, ont été arrêtées à leur sortie de l’hôpital ("J’étais à l’hôpital avec une angine et ensuite une otite. Maintenant, je suis guérie et on m’a envoyée au vélodrome.") ¹
Toutes les femmes raflées ne proviennent pas de Paris. Quelques-unes sont signalées comme ayant été arrêtées à Nice, d’autres à Annecy, d’autres à Toulouse.
Au total, plusieurs milliers de personnes, 3 000 environ. Toutes sont internées entre le 20 et le 30 mai.

Troisième groupe : les "Mosellanes"

"Mosellanes" est le terme allemand, pour désigner les Lorraines.
Là encore, il s’agit de femmes bien françaises, raflées à leur domicile, en Lorraine et dans le nord-est de la France.
Elles sont arrêtées avec leurs enfants et envoyées, dans un premier temps au Vel’ d’Hiv’, dans un second temps, à Gurs.
Parmi elles, Simone Landowski, 8 ans, arrêtée avec ses deux sœurs de 4 et 3 ans ; Catherine Rabszilber, 9 ans, arrêtée avec sa mère, son frère de 6 ans et ses sœurs de 3 et 11 ans. Elles découvriront avec stupéfaction l’univers de Gurs "où l’on se battait pour un seau d’os jeté dans la baraque".
Ce groupe n’est pas nombreux : quelques dizaines de personnes. Mais il a beaucoup frappé les observateurs car, d’une part, les enfants y étaient nombreux et, d’autre part, ces familles semblaient accumuler sur leurs épaules tous les malheurs du monde, depuis 1870 : invasions à répétition, destructions innombrables, plusieurs changements de nationalité, etc...

Quatrième groupe, les Roumaines et les Bulgares

Quelques femmes, une centaine, sont originaires de pays n'ayant rien de commun avec l’Allemagne, ni avec les territoires occupés par les troupes nazies.
Parmi elles, deux groupes de Roumaines et de Bulgares ont particulièrement attiré l'attention de l'officier français, ancien professeur d'espagnol, chargé d'enregistrer les "entrées".
L'un, d’origine bulgare, est composé d'une quarantaine de juives séfarades. Il descendrait en droite ligne de lointains aïeux qui avaient fui les persécutions de l'Inquisition, et s'exprime dans un pur castillan du XVIIe siècle, fourmillant de gongorismes et de tournures désuètes.
L'autre, d’origine roumaine, est constitué de plusieurs familles de gitans (roms). Il se fait particulièrement remarquer le jour de son internement, le 28 juin : les femmes font un vacarme épouvantable, refusant d’être séparées de leurs hommes. Elles obtiennent finalement satisfaction et sont logées dans une baraque à part.
Ce quatrième groupe, d’une centaine de personnes au total, sera libéré dans le courant du mois d’août. Certains d’entre eux seront à nouveau internés au camp au printemps 1944. D’autres sous-groupes pourraient également être distingués, en particulier en fonction des nationalités. Par exemple, des baraques entières sont constituées, à Gurs, par des Autrichiennes, des Polonaises ou des Tchèques. Mais, dans l’ensemble, ces femmes correspondent toutes au deuxième groupe mentionné ci-dessus.


¹Bertha Gradenwitz. Courrier cité par Elisabeth Marum-Lunau dans Boches ici, Juifs là-bas (1939-1942). Aix-en- Provence, Edisud, 1997. Elle sera déportée de Gurs et exterminée à Auschwitz en 1943.

Sociologie succincte des femmes "indésirables" (été 1940)

Dans un camp jusqu’alors réservé exclusivement aux hommes, l’internement de plusieurs milliers de femmes, en mai 1940, est un événement qui a beaucoup frappé les gardiens comme les populations environnantes.
Pourtant, dans le détail, il faut bien reconnaître que nous connaissons très mal les caractéristiques socio-économiques de ces femmes "indésirables".

Des femmes jeunes, souvent seules

Hanna Schramm, chef de sa baraque, affirme que les femmes internées à ses côtés étaient "dans l’ensemble, assez jeunes, l’âge moyen étant d’environ trente ans" et que "nous avions très peu de femmes très âgées, faibles, ou des malades chroniques." On retrouve dans les autres témoignages cette même impression : les Gursiennes sont de jeunes femmes et en bonne santé. Celles qui ont connu le camp, quelques mois après, lorsque les Badois ont été internés, ont d’autant plus souligné cette caractéristique que les nouveaux venus étaient souvent très âgés.
La proportion des femmes mariées est très difficile à établir mais, là encore, les témoignages soulignent que les Gursiennes étaient souvent "seules". Le terme est polyvalent (célibataires, séparées, mariées sans enfant ?) et son interprétation, incertaine. Il est probable, cependant, qu’un quart, peut-être un tiers, d’entre elles était célibataire sans enfant.
Les femmes internées avec leur(s) enfant(s) constituent une minorité, mais on en compte plusieurs centaines. Elles sont logées dans des baraques spéciales, à l’îlot M. Une statistique préfectorale du 18 juillet 1940 indique que, à cette date, on comptabilisait 3 460 femmes internées, ainsi que 108 enfants. Si l’on admet que les proportions unissant ces chiffres (1 pour 30 environ) peuvent être étendues à l’ensemble du groupe, il y aurait eu près de 300 enfants internés au camp avec leurs mères, en mai et juin 1940.

Hétérogénéité sociale

Hanna Schramm, dans une description sommaire, classe ses compagnes en trois catégories :

"Un quart à peu près d'ouvrières et d'employées de maison qui n'avaient pas trouvé de travail en Allemagne et qui gagnaient leur vie en France depuis quinze ans au moins. Elles n'étaient pas favorables à Hitler, mais pour le reste elles n'avaient pas d'opinion politique tranchée. Le hasard les avait envoyées en France, où elles se trouvaient comme chez elles. Un autre quart était constitué par des réfugiées politiques ; c'était, la plupart du temps, des femmes de fonctionnaires socialistes (…). Une bonne moitié de notre baraque était constitué par des Juives. La plupart avaient émigré dès 1933."

D’autres témoignages viennent nuancer, parfois contredire, ce jugement. Hella Bacmeister évoque "des femmes intellectuelles, politiques, antihitlériennes".
Il est difficile de faire la part des choses. Après la guerre, certains observateurs, s’appuyant sur le fait que des personnes aussi célèbres que la philosophe Hannah Arendt, la critique d’art Lotte Eisner ou l’actrice Dita Parlö ont été alors enfermées à Gurs, ont parfois affirmé que les artistes et les intellectuelles étaient nombreuses au camp. Rien ne permet d’étayer une telle affirmation.
L’hétérogénéité sociale et socioprofessionnelle semble être la norme. Gurs, en cela, ne se distingue pas des autres camps.

Des opposantes au régime nazi

Malgré l’absence de sources précises, il est certain que les femmes "indésirables" étaient, dans une proportion écrasante, des victimes du régime nazi.
En effet, il s’agissait, dans leur immense majorité, de femmes qui avaient dû quitter l’Allemagne pour échapper aux persécutions nazies. Ces femmes étaient souvent juives ou opposantes au régime politique. Elles avaient tenté de se réfugier en Belgique, aux Pays Bas ou dans le nord de la France, mais l’offensive de la Wehrmacht, le 10 mai 1940, les avait conduit à s’enfuir de nouveau, jusqu’à Paris. Victimes et opposantes au système nazi, comment imaginer qu’elles aient pu éprouver une quelconque sympathie pour le régime qui avait fait leur malheur ?
Certaines femmes étaient des opposantes déclarées au régime nazi et, pourchassées, avaient dû fuir leur pays. Parmi elles, l’ancienne député social-démocrate Hedwige Kämpfer, la militante communiste Lore Krüger ou l’écrivain Adrienne Thomas.
Cependant, il y avait aussi parmi elles des femmes allemandes qui, en 1940, résidaient ou travaillaient en France, et qui pouvaient être, sinon partisanes, du moins sans opinion, vis-à-vis du régime nazi. Elles se définissaient comme apolitiques ou "ne faisant pas de politique". Quelle pouvait être leur proportion au sein des Gursiennes ? Denis Blanchot évoque le chiffre de 7 %, tout en insistant sur le fait qu’il ne s’agissait pas de sympathisantes, mais de "simples immigrées économiques" ¹. Hanna Schramm confirme : "il y avait aussi quelques femmes nazies, au sens rigoureux du terme. Mais leur nombre était insignifiant. Moi-même, je n’en ai rencontré aucune." ²
Lorsqu’arrive à Gurs une commission d’inspection allemande chargée de recenser les volontaires au rapatriement, 600 femmes se portent candidates au retour, non par conviction pronazie, mais pour rentrer chez elles, à la maison. Parmi elles, l’actrice Dita Parlo, qui ne cache pas son enthousiasme. "On ne voyait qu’elle. Les autres, c’était le plus grand nombre, se tenaient en arrière dans un silence embarrassé, sans se faire remarquer." ² Au total, 600 femmes sur 9771, parmi lesquelles une immense majorité dont le seul souci était de retrouver leur domicile.
Quelques-unes des opposantes au régime nazi s’engageront, au cours des années suivantes, la Résistance française. Parmi elles, Dora Schaul, Lisa Ost ou Hedwige Rahmel.


¹ Postface de l’ouvrage de Lilo Petersen, Les oubliées, op. cit page 224.
² Hanna Schramm, op. cit, pages 37 et 39.

Une majorité de juives

Quelle était la proportion des juives, parmi les "indésirables" de Gurs ? Là encore, faute de documents, il est impossible de répondre précisément à cette question.
À côté de l’absence d’archives, une autre raison doit être évoquée : les femmes "indésirables" de l’été 1940 ne sont pas internées pour des raisons raciales, comme à l’époque de Vichy, mais pour des raisons nationales : parce qu’elles sont allemandes ou apatrides d’origine allemande. Leur judéité n’étant pas le prétexte de leur internement, il est difficile de savoir si elles étaient juives ou non. Lilo Petersen déclare que c’était "un critère qui n’avait pas cours" et Ruth Fernau affirme que "celles qui étaient juives ne le montraient pas."

Pourtant, il est certain que les juives étaient nombreuses parmi elles. Les femmes qui avaient fui l’Allemagne nazie étaient d’abord des juives tentant d’échapper aux persécutions antisémites. Elles n’étaient pas les seules, mais elles étaient les plus nombreuses.
C’est pourquoi, on peut affirmer que la majorité des femmes "indésirables" de Gurs était juive. S’agit-il d’une forte majorité, de l’ordre des deux tiers ou davantage encore ? C’est probable, sans que l’on puisse en apporter la preuve formelle.

En définitive, il y a quelque chose de désespérant dans l’internement des femmes "indésirables" de Gurs.
Voilà des femmes assimilées à de dangereuses Allemandes, alors qu’elles avaient fui l’Allemagne qui les persécutait. Voilà des femmes qui sont assimilées à des agents de la "cinquième colonne", alors qu’elles ne cherchaient qu’à survivre. Voilà des femmes cataloguées comme ennemies, alors que la France leur apparaissait comme l’un de leurs rares amis potentiels. Voilà des femmes qui avaient mis leurs derniers espoirs dans la France démocratique, mais qui sont traitées en parias infréquentables.
Pour reprendre le mot célèbre d’Hanna Arendt, peut-on imaginer pire situation que celle-ci : "être jeté par ses ennemis dans les camps de concentration et par ses amis dans les camps d’internement" ?

 

Quelques femmes "indésirables" internées en

 mai-juillet 1940

- Hanna Arendt (1906- 1975). Une des philosophes les plus éminentes du XXème siècle.

Auteur, en particulier, Des Origines du totalitarisme (1951), La condition de l'homme moderne (1958), La crise de la culture (1961) et Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal (1963).

Hanna Arendt en 1950

- Lou Albert-Lazard (1885-1969). Peintre d’origine viennoise. Compagne de Rainer Maria Rilke de 1916 à 1918, proche de Romain Rolland, Stéphan Zweig, Paul Klee et Oskar Kokoschka. Pendant les années vingt, appartient au Novembergruppe de Berlin, puis à l’école du Montparnasse. Amie de Matisse, Giacometti, Delaunay. Nombreuses expositions à Paris pendant les années trente.

- Dora Benjamin. Sœur du philosophe Walter Benjamin.

- Ilse Bing (1899-1990). Photographe. Elle s’installera aux Etats-Unis après la guerre et y deviendra très célèbre. Nombreuses expositions.

- Lotte Eisner [Louise Escoffier]. Après la guerre, elle deviendra, sous le nom de Louise Escoffier, conservatrice en chef de la cinémathèque française et, à ce titre, la principale collaboratrice d’Henri Langlois. Spécialiste des expressionnistes allemands (Murnau, Pabst, Lang, etc.). Morte en 1983 à Paris.

- Lisa Fittko (1910-1991). Ecrivain. Auteur, en particulier, du Chemin des Pyrénées. Souvenirs (1940-1941), Maren Stell, 1987. Résistante, responsable, avec son époux, du bureau français du CAS (Centre Américain de Secours), dirigé par Varian Fry, dans le cadre de l'ERC (Emergency Rescue Committee). A sauvé plusieurs centaines de personnes en leur faisant franchir illégalement les Pyrénées.

- Martha Feuchtwanger, musicienne, épouse du chef d’orchestre Lion Feuchtwanger. Auteur de l’ouvrage autobiographique Nur eine Frau, Munich, 1983.

- Gerda Groth : peintre de l'école de Montparnasse, compagne de Chaïm Soutine.

- Herta Hausmann. Peintre. Après la guerre, elle est l’amie de Nicolas de Staël. Nombreuses expositions.

- Hedo [Hehha Schatzki]. Portraitiste et caricaturiste à succès, après la guerre, en Israël et aux Etats-Unis.

- Edwige Kämpfer. Ancien député social-démocrate de Munich, sous le régime de Weimar. - Wally (Loewenthal) Karveno, compositrice, née à Berlin en 1914.

- Fridel Kantorowicz. Musicienne.

- Laure Krüger. Militante communiste du KPD, émigrée dès 1933, fondatrice du journal antinazi américain The German American.

- Herta Liebknecht. Musicienne. Epouse du peintre Robert Liebknecht et bru du spartakiste Karl Liebknecht.

- Brigitte et Elisabeth Marum, filles du député social-démocrate Ludwig Marum (assassiné par les nazis en 1934). La première a notamment publié Boches ici, juifs là-bas. Correspondance d’exilés (1939-1942), Edisud, Aix-en-Provence, 1997.

- Martha Mendel. Pionnière du vol libre (planeur) en Allemagne pendant les années trente, elle fut recordwoman mondiale de cette discipline.

- Dita Parlö. Actrice célèbre de cinéma, partenaire de Jean Gabin dans La Grande Illusion (de Jean Renoir) et de Michel Simon dans L'Atalante (de Jean Vigo).

- Nora Patiel-Block. Avant la guerre, cette militante socialiste est secrétaire des Comités d’assistance aux réfugiés. En 1952, elle deviendra la première femme nommée présidente du Tribunal de grande instance du Land de Hesse.

- L’épouse d'Erich M. Remarque.

- Adrienne Thomas, écrivain, opposante politique au nazisme, auteur de Reisen sie ab, Mademoiselle [Circulez, mademoiselle].

- Elsbeth Weichmann. Militante socialiste, journaliste, épouse du futur maire de Hambourg.

NB : Contrairement à une légende tenace, la claveciniste Wanda Landowska n’a jamais été internée au camp de Gurs.

 

Activités des femmes "indésirables" (été 1940)

Elles sont internées dans les six îlots du fond (de H à M), situés au nord du camp. Les femmes avec enfants sont internées à l’îlot M.

La façon dont elles ont ressenti l’internement dépend beaucoup de la période pendant laquelle elles ont été enfermées. Deux moments doivent être distingués : le mois de juin, pendant lequel l’angoisse de l’avenir est permanente, et les mois d’été, pendant lesquels une fausse sécurité semble imprégner le camp.

L’internement en juin 1940 : prostration et inquiétude

Tout au long du mois de juin, l’accumulation des mauvaises nouvelles suscite une telle angoisse que les internées se sentent submergées par le malheur : l’effondrement de l’armée française, l’occupation de la capitale par l’armée allemande, la démission du gouvernement Reynaud, l’armistice du 22 juin et la l’occupation de la moitié du pays par l’Allemagne se succèdent comme autant de traumatismes. Un véritable désespoir envahit le camp.
Les internées n’éprouvent guère le désir d’organiser des activités sociales ou culturelles qui occuperaient leur esprit et fortifieraient leur moral. Nombre d’entre elles restent prostrées, assises sur leurs valises. Les soirées théâtrales, les conférences et les cours sont rares. Quelques répétitions de chorales sont parfois organisées, quelques ateliers de peinture ou de poésie sont constitués, mais le cœur n’y est pas. L’angoisse est trop forte. La crainte de voir les nazis arriver au camp, en prendre le contrôle et se livrer aux persécutions d’antan, empêche toute activité durable.
En outre, l'exiguïté impose sa loi. Les baraques sont pleines à craquer et il est bien difficile d'organiser les chambrées. Quelques femmes cependant, à commencer par les chefs de baraques, font de leur mieux pour apaiser les esprits mais, sans cesse sollicitées, elles éprouvent toutes les peines du monde à ne pas sombrer elles-mêmes dans l'hystérie collective qui, à certaines heures, envahit les îlots. Leur mérite est grand car, la plupart du temps, rien n’avait préparé ces femmes, dans leur vie passée, à occuper des postes de responsabilité. Elles doivent à tout moment composer avec des internées déprimées ou véhémentes, les unes, insensibles à toute discipline de groupe, les autres, perdues sans leur père ou leur mari, d’autres encore, en pleurs et désespérées. Sans cesse, il faut proposer des occupations, veiller à la propreté et calmer les disputes. Et puis, il y a ces listes, ces innombrables listes exigées par l’administration.

Listes par catégories d'âges, par nationalités, listes des enfants, des vieillards, des femmes de prestataires, des femmes enceintes, des catholiques, des protestantes, des juives, listes de celles qui avaient de la famille en France et de celles qui pouvaient vivre de leurs propres ressources, listes de femmes désirant être rapatriées en Allemagne, listes de celles qui étaient aptes au travail, des malades, des infirmes, des tuberculeuses et des malades mentales. Cela n'avait jamais de fin. Puis les listes se perdaient, il fallait les refaire…

Hanna Schramm, pages 16 et 17

En règle générale, dans les baraques, le silence domine. On coud et on lit, lorsqu'on a pu se procurer un livre ou un journal. On écrit beaucoup, on s'occupe des enfants, on nettoie, on frotte le plancher. Certaines femmes s'occupent du chat ou du canari dont elles n'ont pas voulu se séparer, malgré les aléas de leur périple. Le soir, on discute beaucoup, mais les activités structurées, comme les conférences ou les concerts, semblent totalement absentes. Les bruits les plus divers, les bobards circulent d'îlot en îlot : sur l'entrée en guerre des Etats-Unis, sur celle de l'Espagne, sur l'arrivée imminente des Allemands, sur les brutalités des gardiens, sur les punitions collectives, etc..., propagés par les membres de la compagnie de travail et amplifiés par les conditions mêmes de la vie au camp.
En fait, ces rumeurs ne sont que l’expression habituelle de l’angoisse.

L’internement indulgent, au cours de l’été (juillet et août 1940)

Avec l'armistice, s'ouvre peu à peu une nouvelle période, moins angoissante que la précédente.
Le premier signe, celui que chacun attend, concerne les départs du camp. Ils se multiplient à l’extrême fin du mois de juin, et finissent par vider les îlots dans le courant du mois de juillet. Il suffit alors de faire une demande de libération pour qu’elle soit immédiatement accordée par le secrétariat du commandant du camp.
Parallèlement, la discipline s'assouplit. La circulation sur l'allée centrale est désormais autorisée pendant la journée, jusqu'à la limite du camp des hommes. "Il suffisait de demander à la sentinelle postée à l'entrée de l'îlot pour obtenir la permission de rendre visite à une parente dans un autre îlot" affirme Hanna Schramm. Des autorisations de sorties sont données pendant la journée, non seulement aux cantinières d'îlot, mais à celles qui en font la demande écrite : pour aller chercher du bois dans la forêt, pour aller rendre un service dans une ferme des environs, pour le ravitaillement, etc... Mieux, une fois par semaine, un camion emmène une dizaine de femmes à Oloron, où elles peuvent faire quelques achats.
Pourtant, plusieurs centaines de femmes restent internées dans les baraques. Les raisons tiennent à ce qu’elles ne savent pas où aller, qu’elles ne connaissent personne qui pourrait les accueillir et qu’elles ne possèdent pas assez d’argent pour pouvoir subvenir à leurs propres besoins. Ne voulant pas subsister grâce aux secours d'un comité quelconque, elles demeurent au camp. Elles y sont enfermées, certes, mais y éprouvent une sorte de fragile sécurité qui les rassure. Elles n’imaginent pas le piège qui est en train de se refermer sur elles et qui les broiera, au cours des mois suivants.
À la mi-juillet, trois îlots seulement sont occupés, les îlots H, I et K. Fin septembre, les effectifs sont tellement réduits que toutes les Gursiennes sont transférées "au fond", à l'îlot M, qui vient d'être partiellement restauré. À la multitude des jours de juin a désormais succédé le temps des groupes réduits, où les femmes ont appris à se connaître et à s'apprécier. Des amitiés se forgent et de nombreuses activités surgissent.

A l'îlot I, il y avait un grand nombre d'actrices, de femmes peintres et d'écrivains. Celle qui était alors chef d'îlot organisait quelques petites soirées récréatives (…). Hertha Freund lisait ses poèmes, nous jouions des saynètes de notre composition, des revues satiriques de la vie du camp. (…) Des conférences ou des spectacles avaient lieu le soir après neuf heures : après huit heures, on n'avait plus le droit de quitter l'îlot. Nous fîmes un trou dans les barbelés et nous glissions au travers. La sentinelle fermait les yeux. (…) La première soirée officielle eut lieu à l'îlot H. Mme Lande, la cantinière, qui avait autrefois été chanteuse, avait joliment décoré une baraque en y drapant des couvertures, en y mettant des fleurs et des tableaux ; on avait apporté le piano de l'hôpital. (…) chants, danses, poèmes… le docteur Bachrach faisait de très bonnes conférences sur des sujets littéraires. (…) Dans notre îlot, l'activité resta livrée au hasard et à l’improvisation, mais cela aussi avait son charme. Les anniversaires, les départs étaient fêtés avec solennité ; tous ceux qui avaient envie d'y assister y allaient. Mary Fuchs était toujours sollicitée, jamais nous n'en avions assez de l'entendre chanter, jamais elle n'était lasse de chanter. Et toujours, c'était Plaisir d'amour qui terminait le concert.

Hanna Schramm



Une sorte de fragile tranquillité s'installe avec les chaleurs de l'été. C’est le temps de l’internement indulgent. Pendant la journée, des cours de langues sont organisés, le soir, des veillées et des spectacles. Pour renouveler les habits élimés ou déchirés, les enveloppes de paillasses, devenues trop nombreuses, sont utilisées : avec les moins solides, on confectionne des robes, des blouses et des pyjamas ; avec les tissus les plus résistants, des manteaux et des vestes. Des relations amoureuses s'instaurent avec les Espagnols de la compagnie de travail.
Il serait faux, pourtant, de penser que la vie est désormais facile à Gurs, même si les conditions de séjour sont améliorées. En juillet, se déclare une épidémie d'entérite qui envahit en quelques jours le camp tout entier. Causée par une malnutrition prolongée, elle épuise celles qui en sont atteintes, c'est-à-dire les deux tiers des femmes, et provoque quatre décès. Elle cesse en septembre, avec les mesures de "suralimentation" prises pendant l'été. Mais les scènes engendrées par la maladie, l'isolement psychologique des malades et la précarité des soins laisseront des souvenirs hallucinés dans la mémoire des intéressés.

L'été 1940 constitue donc un moment très particulier dans l'histoire de Gurs. Les activités les plus variées sont organisées par le petit nombre de femmes demeurées au camp. Malgré les incertitudes, une sorte de sécurité semble régner dans les îlots. De nombreuses comparaisons peuvent être faites avec l'été précédent. Dans les deux cas, les combattants républicains comme les Gursiennes ont uni leurs efforts, non seulement, pour vaincre la monotonie et l'oisiveté imposées par la vie dans les baraques, mais aussi, pour transcender leur misérable situation d'internés et sauvegarder leur dignité.

Sorties des femmes indésirables (été 1940)

En juillet 1940, le camp des femmes se vide presque aussi rapidement qu'il s'était rempli, deux mois auparavant.

Fin juillet, sur les 9 771 "indésirables", plus de 6 600 (les trois quarts environ) ont été libérées. En août, 2 052 Gursiennes obtiennent leur sortie. Le 23 octobre, à la veille de l'arrivée des déportés badois, 9 061 femmes et enfants "indésirables", soit 92,7 % de l’ensemble, ont quitté le camp.
Ces départs, pour l’essentiel, correspondent à des libérations (environ 8 350) et à des rapatriements (environ 700).
Notons aussi que six décès sont intervenus à cette période.

Les libérations massives de la fin juin / début juillet 1940

Pendant les quelques deux semaines qui courent entre l’armistice (22 juin) et le 8 juillet, les libérations sont faciles. Il suffit, en fait, d'en faire la demande. En droit, il faut être capable de fournir aux services du camp l'adresse du lieu où l'on compte résider et la preuve d'un minimum de ressources. Comme cette double condition est largement interprétée et à peine vérifiée, une foule d'internées quitte alors le camp, environ 5 000.
Ces sorties étonnent les Béarnais. Elles déclenchent maintes discussions dans la vallée du Gave d'Oloron : les uns affirment que les Gursiennes "ont été libérées sur ordre du ministère de l'Intérieur" ; les autres estiment qu'il s'agit d'évasions. Toujours est-il que, dans la vallée, on rencontre les Gursiennes un peu partout.

Arthur Kœstler les croise fréquemment :
"6 juillet. Navarrenx. Vu plusieurs émigrées allemandes précédemment internées dans le camp de Gurs. On les a relâchées, elles ne savent ni où aller, ni que faire. Parlé à l'une d'elles dans un café. Elle dit qu'elle envoie des télégrammes dans tous les camps de concentration de France non-occupée pour retrouver son mari. (…) Des centaines de femmes dans ce cas vivent à Navarrenx, à Castelnau, à Sus, à Géronce et dans d'autres villages des alentours. La population les appelle les Gursiennes. Les paysans leur prêtent des chambres ou les font travailler dans les champs, au pair. Elles ont l'air sous-alimentées, épuisées, mais propres'' (La lie de la terre, pages 312, 314)

Comment expliquer ces libérations massives ? Deux raisons doivent être évoquées.
D’une part, la confusion extrême régnant dans les services préfectoraux, où l’on ne sait plus que faire des "indésirables" allemandes ; elles avaient été internées comme ressortissantes ennemies mais, depuis l’armistice, elles ne sont plus considérées comme des ennemies ; alors, pourquoi les garder enfermées ?
D’autre part, le rôle déterminant du commandant du camp, le commandant Davergne. Le chef du camp de Gurs décide alors, face à la gabegie administrative, de procéder à une campagne de libérations massives. Il ouvre toutes grandes les portes du camp et signe toutes les demandes de libération qu’on lui présente.
Ce militaire, futur résistant au sein de l’ORA, semble avoir pris la décision de son propre chef, car on ne trouve rien de comparable dans l’histoire des autres camps, en particulier à Saint-Cyprien, au même moment. Sans doute avait-il obtenu l’aval, au moins oral, de ses supérieurs.
Toujours est-il qu’il fait procéder à la plus importante vague de libérations que le camp ait jamais connue. Cette décision a souvent été mal interprétée par la suite. Par exemple, les biographes d’Hanna Arendt ont souvent indiqué que la philosophe s’était alors évadée du camp. En fait d’évasion, elle est simplement sortie par la porte, comme des milliers d’autres avec elle.

Les autres libérations de l’été 1940

Le 8 juillet, un arrêté préfectoral est placardé sur les murs des mairies de la vallée : "toutes les ex-internées du camp de Gurs doivent quitter le département des Basses-Pyrénées dans les 24 heures (…) [sous peine d'être] de nouveau internées".
Le flot des départs du camp s'en trouve brutalement et momentanément stoppé. Les demandes sont plus soigneusement vérifiées, avant d’être transmises au préfet du département dans lequel les postulantes désirent résider.
Pourtant, dès la fin du mois, les sorties reprennent à un rythme accéléré. Les causes de ce nouvel assouplissement ne sont pas connues avec certitude, mais il semble qu'elles soient liées au mouvement préfectoral qui renouvelle alors les cadres administratifs du département.
Au total, 3 300 femmes environ obtiennent leur libération entre le 8 juillet et la fin du mois de septembre 1940.

Que sont devenues les 8 350 femmes libérées au cours de l'été ?

Une réponse précise est impossible à fournir.
Plusieurs milliers, mais on ne saurait dire combien, ont pu émigrer aux Etats-Unis ou en Amérique du Sud, après avoir bravé toutes sortes de dangers que décrit Claude Lévi-Strauss dans Tristes tropiques. Parmi elles, Hanna Arendt et Martha Feuchtwanger.
Un millier environ, qui avait trouvé à se loger dans le département, a été réinterné à Gurs, par la suite. Il est probable que nombre de celles qui avaient choisi de résider hors du département ont connu un sort identique, dans d'autres camps.
D'autres ont franchi clandestinement la frontière espagnole, pour tenter de gagner Lisbonne. On n’en connait pas le nombre.
D'autres, plusieurs dizaines, ont tenté de se cacher en Béarn, avec l'aide de quelques connaissances et, plus tard, dans certains réseaux de résistance de la région.
D’autres enfin, environ un millier, ont fait le choix de rester internées au camp. Elles seront les premières victimes des déportations de 1942.
Elles ne seront pas les seules. En effet, la plupart des Gursiennes restées en France fourniront au régime de Vichy, durant les années suivantes, les victimes toutes désignées de sa politique xénophobe et antisémite.

Environ 700 rapatriements

Les rapatriements sont organisés conformément aux accords conclus par les conventions d'armistice. Les pays vainqueurs, c'est-à-dire l'Allemagne et l'Italie, délèguent dans le camp français des commissions de criblage chargées de vérifier les listes d'internées et de décider des retours au pays. La commission allemande siège à Gurs le 30 juin, l'italienne le 12 juillet. Elles procèdent au rapatriement des volontaires, 600 femmes, presque toutes d'origine allemande.
Le jour de leur départ, quelques-unes se livrent à une bruyante manifestation en faveur de l'Allemagne nazie : "Lorsque les Allemands arrivèrent, il y eut tout au plus cent femmes de l'îlot L pour les accueillir avec des Heil Hitler enthousiastes et le salut fasciste ; en tête de celles-ci, il y avait l'actrice Dita Parlo." (Hanna Schramm)
Le 21 août, la commission Kundt, qui vient du Vernet et des prisons de Toulouse, fait une visite d'inspection au camp. Chargée des rapatriements dans le "grand Reich", elle a compétence sur les internés civils d'origine allemande, mais ne s'intéresse qu'aux "bons éléments", c'est-à-dire aux Aryens. Elle ne procède qu'à un nombre infime de rapatriements, quelques dizaines, tous volontaires, mais son passage soulève une vague de frayeur dans les baraques où sont redoutées les méthodes expéditives des nazis à l'encontre des Juifs.
Au total, 700 Gursiennes environ reviennent, sur leur demande, en Allemagne ou en Italie. Elles représentent moins de 8 % de l'ensemble des femmes qui ont quitté le camp pendant l'été, et à peine 7 % des internées "indésirables".

Conclusion

En octobre 1940, l'arrivée des Juifs badois ouvre une nouvelle page de l'histoire du camp, la plus sombre.
Jusque-là, des mesures d’exception avaient présidé au destin du camp. Avec l’instauration du régime de Vichy, on passe de l’exception à l’exclusion pure et simple. Le pas a été franchi peu à peu, par paliers successifs. La phase décisive de cette évolution a été celle de l’été 1940, pendant lequel une politique administrative de répression systématique a été menée, à l’encontre des opposants potentiels, français ou espagnols, comme des réfugiés allemands. Plus question désormais d'assimiler le camp à un "centre d'accueil", comme s'en targuaient les autorités préfectorales en 1939. Les conditions dans lesquelles les "politiques français" ont été détenus relèvent d'une volonté délibérée de répression et d'avilissement ; celles qu'ont dû endurer les femmes émigrées, que rien ne préparait à une telle épreuve, étaient inimaginables pour des gens qui avaient choisi la France comme terre d'asile.
Et pourtant, la période suivante sera pire encore. Comment en est-on arrivé là ? Progressivement, insensiblement. On songe à la phrase de Churchill, au moment de Munich : "Vous hésitez entre la guerre et la honte. Vous aurez les deux."





 



 Voila l'histoire succincte de ce camp. Aussi lors d'un voyage en Israël, et d'une visite à Yad-Vashem, mémorial de la déportation, je n'ai qu'a moitié été surpris de voir le nom de "Gurs" affiché sur un mur commémoratif, à coté de "Auschwitz","Dachau", Treblinka", et autres lieux maudits. Cependant en cet endroit, aucune incitation à la haine, ni à la revanche, juste un devoir de mémoire. Essayons de l'entretenir.

 Au départ de la ville de Navarrenx jolie boucle dans les bois à l'ouest. C'est les deux premier tiers de la boucle n°15 de l'espace VTT de Navarrenx, nous n'en avions fait qu'une partie a cause d'une mauvaise gestion de la batterie de nos VTTAE. Nous avions rejoint Navarrenx dès que nous avions retrouvé la D2 au golf. J'ai plus tard parcouru le dernier tiers sans passer par Gurs et L’Hôpital St Blaise, voir sur ce même blog la boucle "Navarrenx Boucle n°10".  On se garera à l’intérieur des remparts même, à coté de la vieille poudrière pour sortir ensuite de l'enceinte par la vieille porte de la citadelle et traverser le gave d'Oloron sur le pont. Au premier carrefour on partira vers Susmiou par l'Avenue de Navarrenx. On partira ensuite à gauche sur le Chemin du Gave en suivant le fléchage, très vite après le balisage file sur un chemin à droite rejoignant un champ, mais obstrué par de gros troncs au sol. On rejoindra ce chemin en partant un peu avant sur la droite juste au bout du lotissement et en suivant la lisière d'un champ. La piste retrouvée on la suivra, elle file vers le Sud, en gros parallèlement à la D936. Plus loin après un virage à 90° à gauche on traversera à droite cette départementale par un tunnel pour rejoindre Sus. On longe la clôture de la "secte" installée au village puis après un gauche-droite, on s'engage dans le Chemin du Moulin, puis la Rue des Pyrénées que l'on gravit. Au sommet on s'engage sur une piste caillouteuse qui rejoint Gurs (longue portion roulante). Au carrefour avec une croix, on suivra tout droit la piste menant au camp. Arrivée au camp que l'on traverse, multiples moments d'émotion, surtout au cimetière ou pèle-mèle s'affichent sur les stèles, les noms des uns et des autres, certains aux consonances hébraïques, venus de l'Europe de l'Est, les autres hispaniques, tous liés dans le même destin, plus loin une baraque reconstituée. On poursuit par l'allée centrale du camp jusqu’à rejoindre la  D25. On la suit à gauche pour prendre à droite la D936, que l'on suit pour passer la maison Craquéou, on trouve à droite un sentier traversant la forêt et rejoignant le bitume et le GR78, suivre à droite (nous le suivrons jusqu’à L’Hôpital St Blaise). Plus loin nous quittons la route au niveau d'un champ à gauche pour rentrer dans la forêt et sur des pistes très boueuses conséquentes aux pluies des jours précédents. Une descente délicate, puis une raide montée et poursuivre tout droit dans le bois à nouveau. A la suite d'une zone de palombières juste après un énorme tronc barrant la piste facilement contournable par la droite, et une autre descente. A la cote 242, ne pas manquer l'épingle à droite pour toujours suivre le "Camino", passer l'Ibarle sur un pont en bois avec des escaliers, puis la "Fontaine des Maures" à gauche. Arrivée à L’Hôpital St Blaise et sa belle église romane. De là on emprunte la D860 pour rejoindre la D135 au point 226.Nous avions suivi lors de notre passage la D135 vers le Sud-Est et l'avions quitté pour prendre une piste à gauche passer au point 229, descendre dans une lande, puis rejoindre au mieux la maison "Labourdette" et ensuite le pont de la Mouline. Cet itinéraire est laborieux, et à peu d’intérêt, il semble plus judicieux du point coté 226, de traverser la D135, et de rejoindre directement le Pont de la Mouline par le goudron. Du pont on remonte une petite route pour rejoindre un PR au point coté 183, on le suit vers l'Ouest. Attention un peu plus loin, de quitter la piste principale avant le point 243, et de suivre le PR sur la droite. On longera un champ en lisière d'un bois. On file tout droit, pour rejoindre un carrefour de pistes. On suivra celle qui part vers le lieu dit "Toupierres" (palombières), puis on rejoindra par une belle descente sur monotrace la "Fontaine de Roland". On suivra après une piste très abimée par les engins d'exploitation forestière. Au panneau "Cross" on suivra à droite un sentier plus roulant qui descend dans un petit talweg, au panneau "Cross" suivant on laissera filer cet itinéraire tout droit en montant, pour nous descendre à droite vers le fond du vallon (arbre en travers), au fond on rejoint une piste évidente, que l'on suivra, pour rejoindre la golf de Navarrenx, on le longera jusqu'à rejoindre la D2 au point coté 173, face à une station de pompage. De ce point à droite, on rejoint Navarrenx par la D2.

Fait le:25/09/2019

Dénivelé: 600 mètres environ

Distance:32 kilomètres

Niveau bat restante: 5% 

Trace (Nous n'avions pas de GPS ce jour là, ni téléchargé la trace sur Wikiloc, ceci est la trace du parcours intégrale VTT Navarrenx n°15):https://www.utagawavtt.com/randonnee-vtt-gps/Randonnee-sportive-autour-de-Navarrenx-Parcours-n15-Noir-8577 




Voie ferrée factice réalisée par un artiste israélien




La stèle qui m'a touché

Le cimetière des déportés


Complexe de palombière
Un pont du GR65 sur l'Ibarle

 

 


 
Non loin de la "Fontaine de Roland"

De beaux sentiers



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